Article préparé par Alice Langlois
Dans le cadre du festival Le documentaire engagé dans les Amériques, un programme de trois courts métrages soutenus par l’association Cinéma 93, représentée ce jeudi 10 octobre par Léa Colin et Julie Guéan,ont été projetés.
La soirée a été également dédiée à la présentation de toute l’équipe de doctorant.e.s provenant de divers horizons académiques. Cette équipe a participé à la préparation de cet événement, a choisi les courts métrages parmi une sélection proposée par Cinéma 93 et a permis que le festival soit un moment convivial et interactif propice à l’échange sur les Amériques contemporaines. Ainsi, grâce à ce groupe motivé et impliqué, intervenants, réalisateurs et spectateurs ont eu l‘opportunité d’échanger après chaque projection.
Cette soirée proposait de mettre le cap sur le Pérou, les États-Unis d’Amériques et la Colombie avec un objectif : visibiliser et questionner les marges qu’elles soient territoriales, sociales, affectives, individuelles et/ou collectives.
Ici, de Cayetano Espinoza évoque à travers les gestes quotidiens d’une mère et de sa fille leur souvenirs de leur périple migratoire vers la région de Ucayali au Pérou.
Horse day, de Mohammed Bourouissa met en scène des cavaliers des écuries de Fletcher Street à Philadelphie qui se préparent et concourent pour un festival de « tunning équestre ».
Sol Negro de Laura Huertas Millán, qui nous a honoré de sa présence lors de cette projection, met en lumière de façon mystérieuse le désespoir, les liens familiaux et la résilience féminine. Dans une Colombie où le processus de paix commence à se construire, Antonia, chanteuse lyrique, invite à penser les procédés de reconstruction, les imaginaires intimes, familiaux et collectifs.
Avant de laisser la parole à l’échange, Laura Huertas Millán a remercié le comité d’organisation ainsi que le public qu’elle a invité à la découverte du court métrage.
Cinéma 93 a également présenté son rôle au sein du festival pour rappeler de quelles manières l’association apporte son soutien aux films. Léa Colin a aussi expliqué aussi le processus de diffusion des courts métrages en région parisienne. L’objectif est de renforcer les liens avec des structures culturelles pour créer des rencontres cinématographiques entre les réalisateurs et les habitants de la Seine Saint Denis.
Suite à la projection, Eva-Rosa Ferrand Verdejo et Maud Cazaux ont accompagné Laura Huertas Millán qui a répondu à de nombreuses questions relatives aux modalités de son projet personnel, à sa recherche cinématographique, mais surtout aux problématiques de genre et de violence.
Soleil noir, le courage d’un film intime et mélancolique :
Laura Huertas Millán évoque sa volonté d’élaborer un film en tension entre fiction et expérience personnelle. Elle explique que le film provient d’une nécessité dont elle ne pouvait plus échapper en résonnance avec le processus de migration qu’elle expérimentait depuis la France. Elle met en perspective sa trajectoire personnelle avec les évènements qui ont touchés sa famille. Depuis ses lectures anthropologiques, elle décide alors de renverser l’idée d’altérité au cinéma mais surtout, les façons dont le cinéma colombien évoque l’altérité : au lieu de focaliser son regard vers quelque chose de général, elle préfère ouvrir la boite de pandore où l’intimité familiale oscille entre mélancolie et résilience.
La réalisatrice ne voulait pas faire un documentaire d’observation mais réinventer la fiction, co-créer. Se raconter autrement en passant par l’ouverture entre elle et le personnage principal d’un espace de jeu. En ce sens, l’expérience est hybride tout comme le scénario et les discussions avec sa famille. Aussi, l’équipe de tournage a évolué en fonction des éléments tournés. Elle dévoile qu’elle a dû retourner seule en Colombie pour capter des images complémentaires pour son film. Terminer le tournage c’était ancrer le scénario sur la liberté des acteurs dans leur façon de s’exprimer. Ainsi elle perçoit son film comme un trompe l’œil car il peut être pris pour un documentaire d’observation. La création se trouve en tension entre une co-construction hybride où jeu et ethnographie se retrouvent enracinés dans la fiction des acteurs « naturels ».
Violence et féminité depuis la Colombie à travers le regard de la cinéaste :
Cette période de violence qu’a traversé la Colombie, la réalisatrice la ressentait depuis le début et elle l’utilise en affirmant au sein des images l’idée que le personnel et l’intime est forcément politique. Cette question traverse le film par l’idée même du traumatisme psychique. En effet, dans le processus thérapeutique de plusieurs personnages, les tensions sociales se ressentent. « Les corps et les esprits se retrouvent face à la maladie ». La violence, bien réelle, qui infuse la vie quotidienne des colombiens, devait être évoquée dans cette fiction sans aliéner pour autant les narrations familiales.
Conclusion, l’expérience complexe de la part d’ombre dans la fiction
« Plusieurs choses n’ont pas vocation à être dites ». Dans sa façon de faire et parce qu’elle vient d’un champ culturel où la construction du récit contemporain cherche des formes circulaires de narration, la réalisatrice invite le spectateur à se laisser porter par les propositions expérimentales parfois opaques, dont il fait partie. Le spectateur intègre l’œuvre, s’y perd, s’y retrouve, mais surtout, il s’engage avec Laura Huerta Millán à faire partie des relations complexes que produit l’humanité.