Réflexion(s) autour du documentaire de Loïc Darses « La fin des terres » et du projet Wapikoni Mobile

Dans le cadre de notre Festival de Cinéma, le documentaire réalisé par Loïc Darses, « La fin des terres » (2019), sera projeté le mardi 8 octobre 2019, à 20h30, au cinéma Le Studio d’Aubervilliers. À quelques semaines de ce bel événement, nous vous proposons une réflexion sur les enjeux politiques et sociaux soulevés par cette œuvre et un projet de réalisation filmique innovant, le Wapikoni Mobile.

Article préparé par Laura Cahier

Affiche officielle de « La fin des Terres » de Loïc Darses

En refusant l’utilisation d’images d’archives et en privant ses narrateurs de leur propre identité visuelle, Loïc Darses, dans son documentaire « La fin des terres » (2019), souligne la pluralité des questionnements politiques de la jeunesse québécoise contemporaine, quant à l’avenir de ce territoire canadien. Ainsi, si les « Milléniaux » n’ont pu s’exprimer lors du référendum sur l’indépendance québécoise de 1995, le réalisateur démontre que le sujet n’appartient pas encore à l’histoire passée – et ce, malgré la victoire du « non ». Tous les témoignages qu’il laisse entendre sont autant d’invitations à se réapproprier le destin politique et l’héritage identitaire du Québec, à l’heure d’une mondialisation qui tend à effacer les repères collectifs .

Extrait du documentaire « La fin des Terres ». L’utilisation de la technique du datamoshing: une métaphore de la « société liquide »?

Lorsque les images se délient, les formes se perdent et les couleurs se fondent – Darses utilise pour cela la technique du datamoshing – il ne reste que les voix d’une jeunesse qui cherche elle-même ses propres marques dans le territoire québécois. Le réalisateur semble, volontairement ou non, mettre en image la métaphore de la « société liquide », concept que le sociologue Zygmunt Bauman[1] appliquait aux sociétés occidentales contemporaines déstabilisées par la transformation des liens et identités des individus, eux-mêmes pris dans une modernité galopante et destructrice des solidarités traditionnelles.

Si l’héritage des grands partis et des mouvements sociaux indépendantistes québécois est souvent évoqué par les différents narrateurs, il n’est cependant pas un élément à même de les fédérer et de les rassembler. Malgré la diversité des mots, la complexité des pensées et la pluralité des idées, tous rappellent le besoin nécessaire de recréer du lien et de façonner un sentiment d’appartenance renouvelé.

Dans la lignée des questionnements soulevés par cette œuvre, nous avons souhaité poursuivre la réflexion autour d’un projet tout à fait original et novateur : le Wapikoni mobile. Au cœur de cette initiative née au début des années 2000 au Canada, plusieurs studios ambulants dotés d’équipement pour la réalisation filmique parcourent des milliers de kilomètres, d’un océan à un autre, afin d’accompagner des jeunes des Premières Nations – peuples autochtones canadiens – dans la réalisation cinématographique. La méthodologie suivie, élaborée par la cinéaste Manon Barbeau, consiste à « apprendre en faisant » et à utiliser les Arts médiatiques comme medium de résilience. Abordant ainsi le montage, la scénarisation et les aspects les plus techniques de la réalisation, ce projet vise à donner à la jeune génération autochtone un outil pour se réapproprier son histoire, repenser son présent et réinventer son futur.

Pour en savoir plus sur le projet Wapikoni Mobile

En effet, plusieurs siècles de colonisation, d’exploitation et d’assimilation forcées ont profondément affecté les repères et identités des populations autochtones au Canada. Lors de la dix-huitième session de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones qui s’est tenue en avril dernier à New York, des débats essentiels ont d’ailleurs été engagés quant à l’importance de protéger et transmettre les langues et cultures autochtones. Au-delà d’une recherche de sens, le projet Wapikoni Mobile propose ainsi une revalorisation des modalités d’expression de jeunes issus de quelques 89 communautés autochtones – dont 32 au Québec – afin qu’ils puissent se réapproprier leurs propres histoire(s) et patrimoine(s).

Loin d’être les sujets d’un récit historique imposé, ces jeunes deviennent alors les réalisateurs et acteurs d’une narration renouvelée sur leurs terres et communautés. La réalisation filmique apparait, soudainement, comme un medium de réappropriation des territoires géographiques, émotionnels et subjectifs mis en sommeil par la colonisation et menacés par une mondialisation uniformisatrice.

Tandis que les jeunes générations sont fréquemment dépeintes comme étant « démobilisées » des enjeux politiques et sociétaux contemporains, le documentaire de Loïc Darses et le projet Wapikoni Mobile sont autant de résistances contre l’idée même d’une histoire qui se serait figée. Loin d’être désengagés, ceux que l’on appelle parfois péjorativement les « milléniaux » réinventent leurs propres subjectivités et projets politiques, à travers des modalités d’expression renouvelées. Les deux initiatives illustrent in fine une sorte de réaction, voire de résistance, face à une histoire politique et sociale qui se serait résolue sans que la jeune génération ait son mot à dire. Se réapproprier les images et les mots pour inventer une suite au passé et donner un sens au présent : c’est bien là une forme de résilience qui transparait à l’écran.

Pour en savoir plus sur le projet Wapikoni Mobile : http://www.wapikoni.ca


[1] BAUMAN, Zygmunt. Work, Consumerism and the New Poor (Issues in Societies). Open University Press, 1998, 106 p.

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