Brève critique des courts-métrages

Les trois courts-métrages seront projetés lors d’une soirée proposée dans le cadre du Festival Le Cinéma Documentaire Engagé dans les Amériques. Cette soirée aura lieu le jeudi 10 octobre 2019, à partir de 20h00 au cinéma Le Studio à Aubervilliers et elle se composera de la projection de trois courts métrages : Ici (Cayetano Espinosa, 2017), Horseday (Mohamed Bourouissa, 2014) et Sol Negro (Laura Huertas Millán, 2016). La projection se fera en présence de la réalisatrice de Sol Negro, Laura Huertas Millán et de l’association Cinémas 93.

Article préparé par Eva-Rosa Ferrand Verdejo

Ici , Cayetano Espinosa, 2017

Photogramme extrait d' »ici » de Cayetano Espinosa

Ici propose une réflexion sur les conséquences de la colonisation sur les peuples colonisés. La reconstruction de la mémoire de la famille sert d’élément structurel, de colonne vertébrale au film. Cayetano Espinosa nous livre avec brio un film émouvant et esthétiquement splendide ainsi qu’une réflexion sur l’identité des communautés autochtones. 

Ce court-métrage illustre tout d’abord la vie quotidienne de la communauté Isconahua dans l’Amazonie Péruvienne. Son lien avec la civilisation occidentale est un thème récurrent tout au long du film : les vêtements portés par les personnages, le bruit de la radio, la lumière des lampes torches sont autant d’éléments qui rappellent que le simple contact avec la civilisation occidentale a provoqué la disparition de centaines de communautés autochtones dans toute l’Amérique Latine. Cependant, ces éléments occidentaux semblent être étouffés par une nature puissante et majestueuse : ainsi, le son de la radio se perd sous le bruit de la pluie et le chant des oiseaux, la lumière de la lampe torche semble faible à côté de la flamme de la bougie qui danse dans la nuit…

Ce qui attire l’attention du spectateur occidental est, sans doute, la précarité dans laquelle vivent les personnages, ainsi que la sensation que le temps s’est arrêté : ces femmes et leurs descendants font partie de la forêt. Ni l’apparente objectivité de la caméra fixe, ni les nombreux plans de dos, ni le son mélodieux, mais étrange de cette langue que l’on ne connait pas, n’arrivent à contenir l’empathie du spectateur qui ressent la douleur de cette mère qui détient la mémoire de la famille et, par conséquent, de toute la communauté.

Horseday, Mohamed Bourouissa, 2014

Horseday est un court-métrage surprenant et fascinant. Il s’attache à la vie d’une communauté afro-américaine dans un quartier défavorisé de Philadelphie. La ville semble abandonnée, délabrée, sur le point de devenir une ville fantôme, c’est pourquoi le contraste avec la présence pleine de vie des jeunes cavaliers est si frappant.

Photogramme issu de « Horseday » de Mohamed Bourouissa

La force du film provient de l’adoption de la figure du cowboy dans un quartier au passé clairement industriel : apparaît alors une sorte de décalage entre ces « cowboys » urbains et la ville dans laquelle ils évoluent. Les cowboys ne sont-ils pas, par définition, associés à un espace rural et sauvage ? C’est cette idée de « sauvage » qui est reprise dans ce court-métrage : alors que les cowboys s’efforcent de mettre de l’ordre dans un monde qui résiste à la civilisation, les cavaliers de « Fletcher Street » semblent plutôt vouloir redonner du sens à un monde abandonné par la civilisation. Les chevaux ne sont pas sauvages au sens propre du terme : ce n’est pas qu’ils n’aient jamais été apprivoisés, ni qu’ils vivent en liberté dans la nature, mais ils ont bel et bien été abandonnés et ont réappris des comportements naturels nécessaires à leur survie –tout comme les cavaliers qui les ont recueillis.

Autre point commun avec les cowboys traditionnels, les personnages de ce film essayent de conquérir un espace hostile et dangereux : le travail avec les chevaux (et en particulier la compétition de « tuning » de ces derniers, où les participants montrent leurs talents d’artistes), ainsi que le rap apparaissent comme des moyens de faire face à une réalité sombre où cette communauté semble être marginalisée. L’art et la vie en communauté permettent en ce sens de réaffirmer l’existence et l’identité de la communauté, dans une démonstration de résilience hors du commun.

Sol Negro, Laura Huertas Millán, 2016

Photogramme extrait de « Sol Negro » de Laura Huertas Millán

Sol Negro est une réflexion sur l’identité familiale, sur la façon dont elle se construit et dont les malheurs d’un seul membre de la famille peuvent perturber brutalement la vie de tous les autres. Ce film m’a paru particulièrement intéressant car il se construit comme une fiction-documentaire, c’est-à-dire qu’il y a une certaine mise en scène du personnage principal qui permet au spectateur de mieux comprendre ce personnage réel et son lien à la personne qui se cache derrière la caméra. Le jeu entre la fiction et le documentaire me paraît par ailleurs extrêmement pertinent dans le cadre d’une réflexion sur le récit que l’on fait de soi-même et donne au film une dimension poétique qui ne manque pas d’émouvoir le spectateur.

Ce court métrage se construit sur l’opposition entre création et destruction : il s’agit de l’histoire d’une chanteuse lyrique qui, pour diverses raisons, détruit peu à peu sa vie entière. Sol Negro transmet avec brio les sentiments du personnage filmé, reflétant ainsi l’empathie admirable de la réalisatrice : les gros plans et très gros plans trahissent la sensation d’emprisonnement et la solitude extrême de la protagoniste, le jeu sur les regards rend compte de la douleur éprouvée par les uns et les autres, et du sentiment d’incompréhension. Le film se présente en ce sens comme un instrument pour comprendre, d’une part, comment le personnage en est arrivé là –et par cette occasion lui accorder l’opportunité de réfléchir et d’essayer de se frayer un chemin vers la résilience– et, d’autre part, comment l’histoire de cette femme a bouleversé la vie des membres de sa famille. L’objectif n’est pas des moindres, puisque comprendre, c’est également (se) pardonner et guérir.

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