À propos de « O processo » de Maria Ramos (Brésil)

O Processo de Maria Ramos sera projeté le 11 octobre 2019 à 19 heures au cinéma Le Studio à Aubervilliers!  La séance s’ouvrira sur des airs de samba avec le musicien brésilien Fernando del Papa, en partenariat avec le festival Villes des Musiques du Monde. La projection sera suivie d’un débat avec Alberto Da Silva, maître de conférences en histoire contemporaine brésilienne à Sorbonne Université.

Article préparé par Johanna Carvajal González et Caio Narezzi suite à l’entretien réalisé le 28 juillet 2019 avec la réalisatrice Maria Ramos.

 O Processo retrace la complexité d’un procès juridico-politique de grande envergure au Brésil, la procédure d’Impeachment de la présidente du pays Dilma Rousseff, de 2015 à juillet 2016, date à laquelle elle est destituée. Il s’agit d’une période très importante pour l’histoire du Brésil, car c’est à ce moment-là que la population va se rendre compte que les institutions démocratiques étaient déjà fragilisées. Le spectateur suit les étapes du procès, les témoignages, les jugements rendus. Maria Ramos propose au public un documentaire qui lui donne les éléments pour réfléchir, en faisant appel à son esprit critique, en se détachant drastiquement du monde des Fake News et du journalisme sensationnaliste, de façon, selon ses propres termes, « multidimensionnelle ».

            Quant au choix de l’écriture documentaire, Maria Ramos précise :

[…] dans le cas de O processo, il était très important de s’attacher aux faits. Pas simplement de les établir, mais aussi de montrer comment ils étaient absolument déformés […] Il n’était pas question de refléter le récit de la gauche, mais aussi celui des  progressiste, c’est-à-dire, des gens qui étaient contre l’impeachment. Faire entendre cette version, comprendre ce qu’est vraiment une « pedalada[1] », les relations de pouvoir, les forces politiques derrière tout cela et aussi les arguments que les deux côtés défendent.

Le film montre, en creux, le point de départ de la situation actuelle du Brésil, à travers les paroles de l’actuel président du pays, Jair Bolsonaro, à l’époque du procès, un moment où «on légitime tout genre d’agression […] l’agression contre la Présidente de la république, contre la gauche, contre les gens qui s’opposent à la dictature ». Ce moment de légitimation, selon Maria Ramos, a été fondamental pour l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir.

Depuis ses débuts comme réalisatrice, Maria Ramos filme le fonctionnement de la justice brésilienne. Elle a mis à l’épreuve différents aspects de la justice dans ses documentaires  Justiça  (2004),  Juízo  (2007) et Futuro Junho (2015). La cinéaste cherche toujours à atteindre l’essence de son sujet. C’est le cas dans O Processo : elle place sa caméra sans aucune intervention directe, et capte le réel, en essayant de comprendre les différents aspects de la question. « Je pense que l’essence d’un film est de chercher la vérité des faits, mais également de chercher la vérité de la vie. Je pense aux multiples facettes  du personnage », explique-t-elle.

Dans O processo, Dilma Rousseff n’est pas le personnage en question. En effet, pour la réalisatrice, son personnage est le procès dont Rousseff fait partie. Pour cette raison, le spectateur ne voit l’ex-présidente que dans des moments très particuliers : « Le film n’est pas sur la présidente Dilma. Le film est sur un procès juridico-politique. Dilma est présente dans le film de façon très ponctuelle, quand c’est nécessaire, quand elle arrive au procès ». Maria Ramos essaye ainsi de construire un cinéma où le spectateur doit comprendre les faits, avec l’aide des images qu’elle lui propose. Ce n’est pas un cinéma qui impose, c’est un cinéma de réflexion.

« Mes films ont une forme cinématographique dans laquelle le récit est construit pour travailler une réflexion sur les images », images, qui, pour O Processo lui ont demandé 450 heures de tournage, dans des conditions très compliquées car elle a réussi à pénétrer les sphères de confidentialité afin de suivre les faits de très près. Les espaces de pouvoir où se sont déroulées les différentes étapes du procès, sont montrés et magnifiés, comme par exemple le Congrès National de Brasilia, ses extérieurs, ses couloirs, pour que le spectateur puisse reprendre son souffle au milieu d’une tension évidente. À ce propos, la réalisatrice souligne qu’ « à Brasilia l’architecture a un pouvoir imaginaire, un pouvoir dans la tête des politiciens. La ville porte un symbolisme très fort ». Née à Brasilia, la réalisatrice pense que la ville en elle-même constitue un ancrage de pouvoir pour le film.

En ce qui concerne l’avenir du pays et du cinéma sous le gouvernement de Jair Bolsonaro, Maria Ramos n’est pas optimiste. Selon elle, le phénomène des Fake News a détruit tout ce qui restait de la démocratie et l’avenir est très compromis : « Personne n’a jamais imaginé qu’il [Bolsonaro] voudrait démanteler l’Ancine [l’Agence National du Cinéma]. Il veut censurer. S’il n’arrive pas à la démanteler, et qu’il existe encore du financement pour l’audiovisuel, clairement cela va devenir une industrie destinée aux films de divertissement, films qui n’ont pas de vision critique du gouvernement».

Pour en savoir plus sur Maria Ramos et « O processo »: https://www.maria-ramos.com/o-processo/.


[1]    Pedalada ou « pédalage fiscal » « […] consiste à recourir à des emprunts auprès d’établissements publics pour financer des dépenses qui seront ensuite portées au débit des comptes publics, mais avec un décalage », « Dilma Rousseff : “Pourquoi démissionner ?” », Le Monde.fr,  25 mars 2016. https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/03/25/dilma-rousseff-pourquoi-demissionner_4890196_3222.html, consulté le 8 août 2019.

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